Inscrite dans la Constitution française, la grâce présidentielle est l’une des prérogatives du chef de l’État. Décidée selon son bon vouloir, elle n’est quasiment plus accordée depuis 2011. Passées d’une centaine de cas par an il y a encore dix ans à quelques rares exemples ces dernières années, les grâces continuent pourtant d’être sollicitées auprès du président de la République, certaines pour des détenus incarcérés depuis plusieurs décennies, posant la question du traitement des personnes condamnées à de longues peines
par Anaïs Coignac
Le 25 mai dernier, Marie-Claire F…, 74 ans, détenue placée en hôpital psychiatrique depuis le milieu des années 1990, obtenait une grâce présidentielle partielle. La première accordée par Emmanuel Macron depuis son élection à la tête du pays. Avant lui, François Hollande avait accordé sa grâce à plusieurs personnes dont deux cas très emblématiques, celui de Jacqueline Sauvage en décembre 2016 et de Philippe El Shennawy en janvier 2014. La première, condamnée en première instance et en appel à dix ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son mari violent était devenue le symbole des victimes de violences conjugales. À l’issue d’une campagne de presse intense menée par ses deux avocates, l’ancien président de la République lui avait accordé la grâce totale quasiment onze mois après une première grâce partielle qui n’avait pas abouti à sa libération. Ce premier acte lui avait offert la possibilité de présenter une demande de libération conditionnelle immédiate, en levant sa période de sûreté, mais la requête de Jacqueline Sauvage avait été rejetée en première instance et en appel, la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Paris estimant que sa réflexion demeurait « pauvre et limitée », puisque celle-ci n’exprimait pas d’« authentique sentiment de culpabilité ». Le second geste présidentiel avait été très controversé, des voix critiques estimant que François Hollande venait contredire plusieurs décisions de justice alors même que sa bénéficiaire avait devant elle plusieurs recours possibles permettant l’aménagement de sa peine.
Philippe El Shennawy avait, lui, obtenu la grâce partielle à 59 ans, dont trente-huit passés derrière les barreaux, une décision dont il ne se déclarait pas satisfait le jour de sa libération face aux médias, ne s’estimant pas encore libéré par la justice. Condamné en 1977 à perpétuité pour vol à main armée avec prise d’otage, il cumulait ensuite treize condamnations, notamment pour deux évasions et ne devait en principe pas être libéré avant 2032. En 2011, son recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour les fouilles systématiques dont il faisait l’objet avait abouti à la condamnation de la France pour « traitements inhumains ou dégradants ». « Détenu particulièrement signalé » (DPS), il était passé de l’isolement pendant dix-neuf ans à l’hôpital psychiatrique pendant six ans et avait été déplacé une quarantaine de fois d’établissements pénitentiaires. L’homme avait entamé plusieurs grèves de la faim depuis deux ans. Diverses personnalités publiques avaient là aussi défendu son cas avant que François Hollande lui accorde cette grâce partielle. « Il se laissait mourir, rappelle Virginie Bianchi, son avocate de l’époque. Il fallait qu’on obtienne quelque chose pour rebondir sur le plan judiciaire. On ne pouvait pas demander de libération conditionnelle avant plusieurs années et il ne pouvait plus supporter l’incarcération ». D’où la demande de grâce.
Le cas de Marie-Claire F…, défendu par la même avocate, n’a pas été particulièrement médiatisé. « Je ne suis pas particulièrement favorable à la grâce présidentielle qui est un héritage archaïque du passé mais je l’ai utilisé dans des situations bloquées et désespérées pour rouvrir des perspectives, assure-t-elle. Ça doit rester très exceptionnel ». En l’occurrence, l’état de santé mental de sa cliente, « la plus ancienne détenue de France », selon la presse, se dégradait. Originaire des Antilles, ex-prostituée, elle avait été condamnée à perpétuité pour le meurtre d’un client violent malgré le diagnostic de troubles mentaux des experts. « Après douze années en prison qui ont aggravé son état psychologique, elle était trop fragile selon les psychiatres pour suivre le processus normal pour obtenir une libération conditionnelle qui exige une évaluation de six semaines dans un centre national d’évaluation au sein d’un établissement pénitentiaire (v. C. pr. p., art. 730-2), rapporte Virginie Bianchi. Il n’était pas envisageable pour elle de retourner ce temps-là en détention ».
Depuis plus de vingt ans, elle vit en hôpital psychiatrique sous un régime d’hospitalisation sous contrainte dans un pavillon fermé, sans possibilité de bénéficier de sorties « thérapeutiques » comme les autres pensionnaires hospitalisés. Écartée de la possibilité de solliciter un aménagement de peine, elle ne pouvait pas non plus bénéficier d’une suspension de peine pour raison médicale puisque « celle-ci ne peut être ordonnée en application du présent titre pour les personnes détenues admises en soins psychiatriques sans consentement » selon l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, comme le déplorait la Contrôleure des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans son rapport d’activité 2016. Elle y pointait le cas de Marie-Claire F… pour évoquer « le traitement inhumain et dégradant » des peines incompressibles, expliquant avoir saisi la présidence de la République de cette situation, « non pas pour appuyer la demande de grâce individuelle » mais pour faire part de ses observations au regard des conséquences sur les droits fondamentaux de la mauvaise articulation de notre dispositif juridique en l’espèce. Depuis 1997, toutes les demandes de grâce et de libération conditionnelle de Marie-Claire F… avaient été rejetées, par peur de la maladie mentale selon son avocate et malgré le soutien de l’administration pénitentiaire elle-même.
Virginie Bianchi adresse en 2015 une demande de grâce au président François Hollande qui n’y répondra jamais. La procédure : un courrier avec le dossier complet de la requérante et une copie à la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice ainsi qu’au garde des Sceaux. C’est Emmanuel Macron qui la lui accordera partiellement, commuant sa perpétuité en une peine de vingt ans de réclusion. Cela permettra à Marie-Claire F… de saisir le juge d’application des peines de Rennes pour demander une permission, ce qu’elle ne pouvait faire sous le régime de la perpétuité, les permissions ne pouvant être accordées en ce cas que postérieurement à l’accord du tribunal de l’application des peines d’une libération conditionnelle. « Ce n’est pas une obligation mais j’ai été prévenue directement par le cabinet du président qui m’a appelée pour me dire que c’était bon, raconte l’avocate. J’ai trouvé ça très courtois. On se dit alors qu’on a vraiment réussi quelque chose, contribuer à changer la vie de quelqu’un en mieux. Les proches de Marie-Claire le lui ont annoncé et elle était extrêmement heureuse, elle a exprimé beaucoup de joie malgré sa maladie. »
Le droit de grâce individuel appartient au chef de l’État en vertu de l’article 17 de la constitution de 1958. Il avait été rétabli par le sénatus-consulte du 4 août 1801 et est inscrit dans la Constitution. Concernant ces grâces individuelles, les cinq premiers présidents de la Ve République en ont fait régulièrement usage. Charles de Gaulle a ainsi gracié les généraux Challe, Zeller et Jouhaud, condamnés à mort pour leur comportement pendant la guerre d’Algérie. De manière générale, les cas des condamnés à mort étaient étudiés par le cabinet du président de la République avant leur mise à exécution et le général de Gaulle a commué plus de 90 % des peines capitales. En 1971, Georges Pompidou gracie Paul Touvier, 81 ans, ancien responsable de la milice lyonnaise, qui sera postérieurement condamné en 1994 à la réclusion criminelle à perpétuité pour « crimes contre l’humanité ». Un cas particulièrement controversé, il fut soutenu et même hébergé pendant ses années de fuite avec sa famille par des membres de l’Église catholique. Le même président Pompidou refusera la grâce à Claude Buffet et Roger Bontems condamnés à mort pour avoir tué deux otages pendant leur tentative d’évasion de la prison de Clairvaux.
Révolté, Robert Badinter, avocat de Bontems qui, bien que complice, n’avait pas tué, écrira du procès et de ses suites l’ouvrage L’Exécution, qui nourrira son combat contre la peine de mort dont il demandera l’abolition en 1981 en tant que ministre de la justice. Valéry Giscard d’Estaing lui, refusera la grâce demandée par Christian Ranucci, 22 ans, guillotiné en 1976 pour le meurtre d’une fillette, meurtre qu’il niera tout son procès. Deux autres personnes seront encore exécutées par la justice française l’année suivante. Quatre jours après son investiture en mai 1981, Mitterrand graciera quant à lui Philippe Maurice au pied du couloir de la mort, commuant sa condamnation à mort en prison à perpétuité. L’homme est aujourd’hui historien spécialiste du Moyen Âge à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Enfin, Jacques Chirac graciera partiellement Omar Raddad, jardinier marocain accusé d’avoir tué celle qui l’employait, et José Bové, condamné pour la destruction de plants de maïs et de riz transgéniques.
Jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy, des lois d’amnistie collectives étaient votées au Parlement à l’initiative du locataire de l’Élysée, souvent à l’occasion de la fête du 14 juillet. Dans la première moitié du XXe siècle, on en dénombrait une tous les deux ans. Sous la Ve République, seize lois d’amnistie ont été votées. Elles consistaient notamment à effacer des infractions routières ou des courtes peines d’emprisonnement ce qui permettait de réguler la population carcérale, en surnombre par rapport à la capacité des établissements pénitentiaires. « Les amnisties ne sont pas des grâces au sens juridique », rappelle Virginie Bianchi. « La légitimité de ces lois d’amnistie a été progressivement remise en cause, principalement en raison de leur prévisibilité et des conséquences que celle-ci pouvait avoir sur certaines formes de délinquance perçues comme banales et en particulier sur les infractions routières », expliquait le député Marc Dolez dans un rapport parlementaire de 2013.
Plus ponctuellement, il s’agissait de mesures davantage politiques comme la loi du 31 juillet 1968 qui a amnistié, par exemple, les infractions commises par des militaires lors de la guerre d’Algérie. Ces « grâces » collectives ont été abandonnées par Nicolas Sarkozy qui avait fait du thème de la sécurité une préoccupation centrale de son mandat et François Hollande n’en n’a pas non plus fait usage. Emmanuel Macron n’a pas émis le souhait de réintroduire ces lois. Toutefois, le 6 mars dernier, en visite à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), à Agen, à l’occasion de la présentation d’un « plan pénitentiaire », le chef de l’État a souligné que ces lois et grâces présidentielles avaient été remplacées par « une forme d’hypocrisie collective » avec pour conséquence d’« aménager ailleurs » des peines de prison inchangées.
Conséquence de la fin de l’usage des lois d’amnistie collective et de la moindre prise en considération des demandes de grâce, les chiffres ont chuté considérablement depuis le milieu des années 1990 et plus précisément depuis 2011. En effet, depuis l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République en 1995, le nombre de grâces accordées a diminué, atteignant une centaine ou moins par an contre deux à sept cents la décennie précédente. En 2007, année de l’élection de Nicolas Sarkozy, en mai, les chiffres diminuent de moitié, passant de 98 grâces accordées en 2006 à 43 en 2007 puis 94 en 2008, 28 en 2009, 61 en 2010. À partir de 2011 où 19 demandes seront examinées, les chiffres continueront de baisser. D’ailleurs, aucune requête n’aboutira en 2014 ni en 2017.
Il faut noter que, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes (puis la loi du 9 mars 2004), les mesures d’aménagement de peine, en particulier de libération conditionnelle pour les personnes condamnées à de longues peines, sont prises à l’issue d’un débat contradictoire devant des magistrats spécialisés, juges de l’application des peines, et peuvent faire l’objet d’un appel porté devant la chambre de l’application des peines de la cour d’appel. Auparavant, ces décisions étaient prises par le ministre de la justice. « Des personnes qui auraient demandé la grâce auparavant passent depuis cette loi par des magistrats, explique Virginie Bianchi. Le côté monarchique de la prise de décision… Un magistrat juge en fait et en droit, à la différence d’un ministre qui juge selon les éventuelles répercussions politiques ».
Le 1er mai 2018, le nombre de détenus en France a atteint un nouveau record, 70 633 personnes incarcérées dans les prisons françaises selon les chiffres publiés par l’administration pénitentiaire. Parmi ceux-là, les détenus à de longues peines seraient de plus en plus nombreux. Sur son site internet, l’Observatoire international des prisons (OIP) souligne qu’en France, l’expression « longue peine » concerne essentiellement des détenus de dix ans et plus, contrairement au Conseil de l’Europe qui utilise ce terme pour les peines à partir de cinq ans d’emprisonnement.
Selon la définition française, l’OIP évalue à 12,8 % de la population carcérale les détenus à de longues peines. Précisément : 8,8 % pour les condamnés à dix à vingt ans, 3,2 % pour les vingt à trente ans et 0,8 % pour la perpétuité. Il constate que, malgré les recommandations du Conseil de l’Europe de réduire les durées de détention puisque « les effets négatifs d’une quelconque privation de liberté augmentent avec le temps », la tendance en France est à l’allongement des peines prononcées et à un durcissement des conditions d’octroi des aménagements de peine. Et de préciser « le temps reste figé, privé de dynamique. Avec à la clé, des effondrements psychiques. Mais aussi souvent des perspectives bouchées, non en raison d’un risque de récidive criminelle, mais d’une sur-adaptation au milieu carcéral ».
L’OIP dénonce par ailleurs la perpétuité qu’il associe à « une mort à petit feu entre les murs et d’une vie qui appartient aux juges ». Dans le cas de Marie-Claire F…, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté déplorait que celle-ci ne puisse prétendre à aucun aménagement de peine et se trouve ainsi « privée de tout espoir de sortie de détention ». Elle parlait de « perpétuité réelle » qui « constitue un traitement inhumain et dégradant ». Dans son arrêt de section, Bodein contre France du mois de novembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a réaffirmé qu’une peine perpétuelle est compatible avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme seulement si la personne condamnée dispose d’une possibilité de demander son aménagement, conformément à ce qu’elle avait jugé dans son arrêt de grande chambre du 9 juillet 2013. Et de réaffirmer ainsi « un droit à l’espoir ».
La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté constate dans son rapport d’activité 2016 que « le nouvel article 421-7 du code pénal prévoit l’application de plein droit de la période de sûreté à tous les crimes et délits de terrorisme punis de dix ans d’emprisonnement » et « étend par ailleurs le dispositif de l’article 221-3 du code pénal permettant, par décision spéciale de la cour d’assises, l’extension à trente ans de la période de sûreté lorsque la peine encourue est perpétuelle, ainsi que le prononcé d’une peine de réclusion à perpétuité dite "incompressible" (assortie d’une période de sûreté sans limitation de durée) en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité ». Delphine Boesel, avocate spécialisée dans la défense des personnes condamnées à de longues peines, dénonce cette perpétuité réelle qui existe toujours en France. « Ça va contre l’idée qu’on peut évoluer, contre le droit à l’espoir. Je pense que trente ans de détention, ça ne devrait pas exister ». Consciente de l’importance de prendre en considération les personnes potentiellement dangereuses, elle suggère qu’à défaut d’abolir la perpétuité, une réflexion devrait être menée sur le sujet et sur les périodes de sûreté. Elle rappelle que les procédures d’aménagement de peine pour les détenus à de longues peines sont « extrêmement longues notamment à cause de la réforme du 10 août 2011 qui rend la mission difficile à gérer pour les juges d’application des peines, le personnel pénitentiaire et donc les détenus ». Comme ses confrères et consœurs, l’avocate n’est pas spécialement favorable au droit de grâce mais y a eu recours dans des situations bloquées à plusieurs reprises, des dossiers qu’elle n’avait pas souhaité médiatiser et qui n’ont pas abouti. « Il s’agissait de personnes détenues depuis très longtemps et je n’étais pas sûre que ça parlerait aux gens. » Selon Me Boesel, « le tribunal d’application des peines a plus de légitimité pour la personne qui sort. Avec la grâce, on ne sait pas ce qui s’est réellement joué derrière ».
Il était l’un des plus anciens détenus de France. Michel Cardon, 67 ans, condamné à perpétuité en 1979 pour le braquage et le meurtre d’un voisin avec un complice, a pu bénéficier d’une libération conditionnelle et quitter l’établissement pénitentiaire de Bapaume dans le Pas-de-Calais vendredi 1erjuin dernier au petit matin. Il était accompagné de son avocat, Éric Morain, qui avait fait pour lui une demande de grâce le 12 février 2018 avant de médiatiser l’affaire une dizaine de jours plus tard, faute de réponse du cabinet du président de la République. Une demande qu’il n’a pas retirée bien que les juges aient accordé à son client un régime probatoire jusqu’en 2022. « Le président de la République pourrait le gracier et lever son écrou », dit-il. « Je pense qu’il y a des dizaines de Michel Cardon dans les prisons françaises. On ne sait absolument pas s’occuper des vieux détenus en plus de ne pas savoir les soigner. Lui ressort dans un état abîmé. Quand je l’ai rencontré au parloir, il m’a donné l’image d’un Robinson Crusoé. Il avait aussi l’un des plus beaux sourires que j’ai vus ». Barbe broussailleuse, visage marqué par les AVC, une cécité partielle, des difficultés d’élocution dues à des problèmes cardiaques, l’homme vit isolé, n’a pas de famille, pas de visite. Il demeure compliqué pour les établissements pénitentiaires de gérer les détenus plus âgés ou malades, de même que les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), débordés, peuvent ne pas repérer un détenu longue peine isolé et qui ne solliciterait pas d’aide. « Certaines prisons dédient des étages entiers aux personnes incontinentes, atteintes de démence sénile, en fauteuil roulant, etc., avec de grandes difficultés de prise en charge », souligne Virginie Bianchi.
« Il n’a pas vu passer la dernière décennie », « une faille spatio-temporelle, parce qu’il ne s’est rien passé, Michel Cardon a été oublié », assure l’avocat. Il ajoute : « ce qui m’a marqué c’est sa mémoire de sa vie d’avant, des souvenirs précis, parce que c’est la dernière fois qu’il en a été acteur. Depuis, les jours sont tous les mêmes ». L’avocat suggère qu’un audit soit effectué dans les prisons pour recenser les détenus présents depuis vingt à trente ans afin d’intervenir « avant qu’il ne soit trop tard ». De même, il considère que la question des audiences de libération conditionnelle devrait se poser automatiquement, sans qu’il y ait besoin pour les magistrats d’en être saisi. À l’automne 2016, une première rencontre au parloir est organisée, la seconde pour ce prisonnier en trente-huit ans. Éric Morain décide de déposer une demande de libération conditionnelle pour celui qui vient de devenir son client. Des consœurs le préviennent qu’il n’aura pas de réponse avant « une bonne année ». Au bout de dix-huit mois d’attente, il décide de lancer la demande de grâce. « Michel Cardon s’était fait une raison sur le fait de mourir en prison, pas moi », dit-il. Après la médiatisation, l’avocat reçoit un courrier lapidaire l’informant que la Chancellerie le tiendra au courant. « Soit le président de la République annonce qu’il n’usera pas du droit de grâce et qu’il veut l’abroger, soit ce n’est pas le cas et, dans ce cas, le minimum c’est de faire une réponse motivée », déplore Me Morain.
Dans la foulée, la procédure s’accélère côté tribunal de l’application des peines. Une audience a lieu le 15 mars dernier au centre de détention de Bapaume, mis en délibéré le 30. « J’en suis sorti profondément heureux, avec le sentiment d’une œuvre de justice, raconte l’avocat. Chacun était conscient de l’enjeu personnel de cet homme qu’ils ont vu et entendu, mais aussi de l’enjeu plus large des détenus à de très longues peines ». La veille du délibéré, une audience se tient à Arras avec le juge des tutelles pour décider du sort de l’intéressé. Michel Cardon a le choix entre un EHPAD proposé par une association ou un foyer de réinsertion du Val-d’Oise. Il « choisira » (en réalité « la prison prive de la capacité de choix ») la seconde option, un lieu entouré de nature et d’animaux, loin du béton de Bapaume. « Je suis allé le chercher en voiture le 1er juin et nous sommes allés vers la station-service, je m’en souviendrai toujours. Il voulait un flan. Et il y avait un car d’enfants qui s’était arrêté là. Ça criait, ça jouait au baby-foot, il y avait de la vie. Lors de la première permission de sortie, en avril, on avait fait le tour du parc, il avait une grande soif de naturalité. On a marché dans l’herbe, traversé le potager. Je pense qu’on ne peut pas imaginer ce que c’est de n’avoir été en contact qu’avec du béton pendant toutes ces années ».